Ces vérités-là importunent et dérangent notre système politique parce qu’il est bâti sur une autre logique. Sa logique est qu’il n’est responsable devant personne et qu’il n’a de compte à rendre à personne. Fort de cette logique, il ne visualise l’opposition politique que comme un adversaire qu’il faut neutraliser, contraindre à l’inaction et réduire au silence. C’est ce que j’appelle l’archaïsme politique, c’est contre cet archaïsme-là que mon parti s’élève et cet archaïsme-là n’est soluble que dans la modernité politique que nous revendiquons.
- Concrètement, quel est votre horizon de travail pour les prochains mois, en parallèle d’une campagne électorale ? Quelle présence sur le terrain avez-vous planifié auprès de votre base et de la société en général ?
J’ai dit que nous n’allions pas entrer en hibernation, que nous n’allions pas prendre une année sabbatique et que nous n’allions pas nous octroyer un congé politique. Ne devant être que ce que le régime politique en place les destine à être, ces élections sont une perte de temps pour le pays mais elles ne nous feront pas perdre le nôtre.
Le scrutin à venir et la campagne censée le préparer ne nous intéressent pas. Ils sont à ce point négligeables pour nous, que nous ne leur consacrerons aucun effort particulier. Ils ne sont tout simplement pas à notre ordre du jour. Ce qui reste à notre ordre du jour, ce sont les véritables problèmes du pays : c’est l’impasse politique, c’est la crise économique et c’est la montée des tensions sociales. Mes compagnons au sein de la direction du parti et moi-même allons maintenir notre présence sur le terrain politique comme nous le faisons depuis la création de Talaie El Hourriyet.
Nous allons continuer à expliquer à nos compatriotes les menaces que cette impasse politique fait peser sur l’Etat national ; nous allons continuer à leur expliquer en quoi la crise économique n’est pas prise en charge comme il se doit ; et nous allons continuer à leur expliquer pourquoi la détérioration de leurs conditions de vie est la conséquence directe de cette impasse politique et de cette crise économique dont la gestion pêche par approximation, par improvisation et par désinvolture.
En somme, nous continuerons à leur expliquer que l’impasse politique qui nous inquiète et dont nous parlons sans relâche tient au fait que les affaires de l’Etat ne sont plus gérées avec le sérieux, la rigueur et la cohérence qu’elles requièrent. Je sais que notre langage ne plaît pas du tout au régime politique en place. Je sais, aussi, que certains en son sein nous contestent le droit de parler d’impasse politique. J’en suis désolé pour mon pays mais cette impasse politique existe. Elle est visible à l’œil nu. Elle n’est pas une lubie d’opposant insincère et malintentionné. Sinon, comment appeler le fait que pas moins de treize décisions gouvernementales ont été solennellement annoncées puis annulées ou gelées durant cet automne ?
Comment nommer le fait que, pour l’année 2016, cinq Conseils des ministres seulement se soient tenus, alors que l’impasse politique s’aggrave et que la crise économique et sociale bat son plein ? Et comment qualifier le fait qu’aucune autorité gouvernementale n’a daigné aller compatir avec Béjaïa après la déferlante de violence qui s’est abattue sur elle ,? Que le régime politique en place nous explique tout cela de manière convaincante et nous changerons volontiers notre lexique politique.
- Un bloggeur mort en prison, des restrictions liberticides qui se multiplient : comment peut-on continuer à faire de la politique dans ce climat coercitif ?
Un régime politique qui sait que sont salut est dans l’immobilisme et la stagnation n’aime pas ce qui bouge autour de lui. Son vœu le plus cher est que tous, contraints ou résignés, nous nous accommodions de cet immobilisme et de cette stagnation et que nous les acceptions au mieux comme les signes d’une stabilité ou, au pire, comme une fatalité.
De ce point de vue, le pouvoir politique en place a trois cibles prioritaires : l’opposition politique qu’il ne tolère qu’affaiblie et vulnérable ; les médias indépendants qu’il veut moins intransigeants sur la liberté d’informer et le droit à l’information ainsi que sur les limites qu’il les somme de ne jamais franchir ; et l’îlot que représente une société civile acquise à l’impératif du changement et du renouveau dans une société déboussolée, dévitalisée et angoissée par les lendemains que lui réserve un régime politique figé dans les fausses certitudes et dans les archaïsmes. Faire de la politique, faire de l’information une vocation et agir au sein de la société civile, tout cela est, avant tout, affaire de valeur, de conviction et d’engagement.
Si l’on porte ces valeurs, ces convictions et ces engagements au plus profond de soi, je ne connais pas de moyens en mesure de les gommer à coups d’interdits ou de les réduire au silence par l’intimidation ou la peur. Rien ne peut venir à bout d’une idée juste. L’idée du changement et du renouveau est une idée juste, car elle est une idée de progrès. Et, en tant que telle, elle finira, tôt ou tard, par triompher du statu quo qui est, quant à lui, une idée de recul et de régression.
- La crise socioéconomique qui s’amorce, avec les contestations en hausse, ne serait-elle pas une occasion pour mobiliser le ras-le-bol populaire au lieu de ne parler qu’au «régime» ?
Mobiliser le ras-le-bol populaire, pourquoi faire ? Voilà la seule question qui vaille et qu’il faut savoir poser en prenant véritablement la mesure de toutes ses conséquences. Est-ce pour provoquer des ruptures violentes à la place d’évolutions pacifiques ? Est-ce pour substituer la terre brûlée au statu quo aussi dommageable et aussi intolérable soit-il ?
Est-ce pour ajouter aux épreuves déjà difficiles qu’endure notre pays d’autres épreuves encore plus lourdes et aux répercussions encore plus imprévisibles. En politique, chacun a le choix de son camp. J’ai choisi le mien depuis longtemps. C’est le camp des évolutions pacifiques ; c’est le camp des mutations maîtrisées ; c’est le camp du changement ordonné, consensuel, graduel et apaisé.
Ce camp est celui du rassemblement de toutes les forces vives du pays et non celui de leur confrontation avec un vainqueur et un vaincu dont le pays sortirait meurtri et exsangue. Ce camp est celui du grand rassemblement national avec des Algériennes et des Algériens côte à côte et non face-à-face et avec des Algériennes et des Algériens main dans la main et non hissés les uns contre les autres. Le ras-le-bol populaire que vous évoquez signifie colère, angoisse et désespoir.
Nos compatriotes ont raison d’être en colère, car une gouvernance défaillante a privé le pays d’occasions en or pour aller vers la modernité politique et pour assurer son développement économique et social. Nos compatriotes ont raison d’être angoissés, car l’impasse politique actuelle ne leur semble augurer que de lendemains à tout le moins incertains. Nos compatriotes ont raison d’être désespérés, car partout où ils dirigent leur regard, ils ne voient que des horizons bouchés. Mais malgré tout cela, il est de notre responsabilité politique de les convaincre qu’un changement pacifique est possible et préférable.
- Comment, selon vous, inverser le rapport de force qui pour l’instant est favorable au système en place ? La fédération de l’opposition autour de l’ICSO ayant, quelque part, montré ses limites...
A chaque fois qu’une question allant dans ce sens m’a été posée, ma réponse n’a pas varié. Je ne suis pas dans une logique de rapport de force. Je ne me sens pas engagé dans un bras de fer avec qui que ce soit. Ma démarche est celle du dialogue national, du rassemblement national et du redressement national. Je suis sur le terrain politique et, sur ce terrain là, seule compte la bataille des idées, des programmes et des projets.
J’ajoute que le sort de cette bataille-là penche clairement de notre côté, car à l’archaïsme, nous opposons la modernité, à des visions anachroniques, nous opposons des visions d’avenir, et à la régression, nous opposons la marche vers l’avant. Nos compatriotes savent tout cela et c’est cela qui compte à mes yeux, car quoi que l’on puisse dire à propos du rapport de force, le régime politique en place a perdu la bataille des idées, des programmes et des projets.
Dans les Etats de droit les pouvoirs en place bâtissent des rapports de force favorables sur des bilans incontestables, sur des projets politiques attractifs et sur des compétitions électorales qu’ils remportent loyalement. Dans un Etat de non-droit comme le nôtre, le rapport de force se conçoit autrement.
Il se construit dans l’inconstitutionnalité, lorsque la Constitution est foulée aux pieds pour priver l’opposition de ses droits constitutionnels. Il se construit dans l’illégalité lorsque les lois vont toujours dans le même sens, celui de la restriction de la marge de manœuvre de l’opposition sur le champ politique. Enfin, il se construit par la fraude qui empêche toute possibilité d’alternance au pouvoir. Lorsque le rapport de force est conçu en ces termes-là, l’opposition a contre elle tous les moyens de l’Etat indûment utilisés.
Et dans une situation comme celle-là, elle a peu de chances. Lui faut-il pour autant se résigner face à ses faits accomplis ? L’opposition nationale ne se résigne pas, car elle sait que la cause qu’elle défend va dans le sens de l’histoire. Le pouvoir en place, quant à lui, défend une cause allant à contre-courant de l’histoire. Entre ces deux causes-là, il n’y a pas d’incertitude. C’est toujours la cause du changement et du progrès qui finit par prévaloir.
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