Evoquer le 11 décembre c’est dérouler encore une fois une page d’histoire, l’histoire d’un pays pour lequel ce jour-là des enfants ont accompagné les adultes pour crier leur refus du colonialisme, leur fierté d’être Algérien, leur amour pour l’Algérie. Ils avaient 10, 12, 14 ou 15 ans et ils ont abandonné leurs jeux pour se joindre aux manifestants.
Ils s’appelaient Saliha, Farid, Omar et les rafales meurtrières les ont cueillis en plein envol vers la liberté.
C’est l’histoire très belle de ces enfants qui ont fait l’événement durant les manifestations pacifiques du 11 décembre 1960.
Moins d’une année avant le 17 octobre 1961, à Alger où souffle déjà un vent de liberté, des manifestations s’organisent spontanément. Les témoignages concordent pour lier ces émeutes aux provocations ou "ratonnades" que des français (les "Ultras" excédés par les déclarations du général de Gaulle) défendant une Algérie qui n’a jamais été française, distribuaient aux algériens, aux "bougnoules" ou aux "ratons".
Témoin oculaire au niveau d’un quartier arabe, un adolescent de 14 ans assiste impuissant le 10 décembre à l’interpellation d’arabes, ouvriers généralement, par des pieds noirs. Fouille, gifles, coups de pieds. Arrivés au monoprix de Belcourt, les français interpellent un jeune algérien et lui demandent ses papiers. Devant son refus, ils l’insultent. Le jeune répond à l’insulte. Un revolver est tiré. Sous la menace, les jeunes accourus pour aider leur camarade, laissent partir l’homme armé. L’autre se trouve pris en chasse par les jeunes aidés d' écoliers. Il est battu.
Son copain est pris à parti par un autre groupe de musulmans qu’il continue de menacer de son arme. Intervention d’une patrouille qui remet de l’ordre en arrêtant le civil armé.
Mais les musulmans se sentent frustrés. Une contre manifestation submerge les français qui s’enferment chez eux. Les cortèges se forment avec une majorité d’enfants et ils commencent à manifester en criant des slogans nationalistes "Vive l’Algérie", "l’Algérie algérienne", "l’Algérie musulmane" "ive le GPRA". Le cortège s’agrandit et tous se joignent à cette manifestation spontanée pour crier leur colère et leur révolte.
Tirs des pieds noirs et des CRS sur les manifestants.
Les premiers morts et blessés. L’effervescence se propage vers d’autres quartiers et les parachutistes (bérets verts, bérets rouges, bérets noirs) sont appelés en renfort et sans sommation ouvrent le feu sur les manifestants. Le 11 décembre les manifestations se généralisent.
On voit alors tout un peuple déferler dans les rues et défier, poitrines nues, les troupes coloniales. Quelques témoignages nous donnent la dimension du combat et des sacrifices d’une jeunesse et une enfance qui avaient mis au-dessus de tout l’amour de la patrie. Ils se disputèrent l’honneur de porter l’emblème de la liberté, le drapeau algérien aux couleurs vert, blanc et rouge.
Ces enfants fous de liberté et d’espoir, au courage incroyable ont défié mains nues des soldats armés jusqu’aux dents. Ces enfants sont tombés pour la patrie, le drapeau algérien entre leurs mains. Ils ne joueront plus ni à la marelle, ni au football, ni à la poupée.
Parmi ces héros arrachés à la vie Farid Magraoui et Saléha Ouatiki.
Farid Magraoui avait 10 ans. Ce 11 décembre, l’effervescence de la veille reprend tôt le matin. Les manifestations commencent à Diar El Mahçoul. Un millier de manifestants défilent dans les rues de la cité. Une jeune fille était à la tête du cortège et arborait le drapeau. Au niveau du grand dispositif de sécurité précédé par des parachutistes (ceux de Bigeard) la percée que tentent les manifestants échoue et dans ce moment de confusion un officier arrache le drapeau des mains de la jeune fille. Farid réalise que cet acte est grave, il saute sur l’officier, reprend l’étendard de la révolte et s’envole avec ce symbole. Un parachutiste stoppe sa course vers la liberté d’une longue rafale de mitraillette.
Le corps criblé de balles, Farid tournoie, s’enveloppant de "son drapeau" et tombe, martyr à 10 ans !
Saliha Ouatiki est une petite fillette âgée d’à peine 12 ans. A Belcourt, ce 11 décembre les manifestations continuent. Youyou des femmes du haut des terrasses, slogans nationalistes. Le peuple ivre de liberté crie son refus d’être le colonisé, l’être inférieur, le raton, le bougnoule. Il crie son refus d’être français tout simplement après 130 ans d’occupation coloniale, de répression, de génocides, de spoliations de ses terres, d’humiliation, de déni de ses racines. Le peuple ne rêve plus, il se bat, il dit non à la colonisation, mains nues, poitrines nues.
Saliha joue ce matin-là devant chez elle. Elle a participé aux manifestations de la veille criant son désir de liberté, son amour pour sa patrie, chants patriotiques chantés par des voix fluettes et des poings fermés qui défiaient les armes et les uniformes. Ce jour là, comme la veille elle se joint au cortège et se laisse emporter derrière le drapeau algérien tenu par un jeune homme. Elle se mêle au défilé et se place en tête du cortège. Elle crie comme les adultes "Tahia Djazair (Vive l’Algérie)" "Algérie algérienne". Devant un barrage de CRS Saliha fait partie de ceux qui ont forcé le barrage et poursuivent leur marche. Elle est heureuse d’être en tête du cortège et juste au-dessus d’elle flotte le drapeau comme une récompense à son courage. Le jeune homme qui le tient lui propose de grimper sur ses épaules pour avoir l’honneur de tenir le drapeau. Elle accepte immédiatement. Le drapeau flotte et le cortège avance. Arrivé au quartier européen, la vue du drapeau est insupportable aux pieds noirs armés. Des balcons des coups de feu qui visent Saliha sont tirés. Des coups de feu mortels.
Ayant constaté sa disparition, sa famille s’inquiète. Son frère court à sa recherche. Il la trouve agonisante. La foule fuyant sous les balles l’avait déposée près d’un kiosque.
Le 11 décembre, Place des Armes, basse Casbah, des milliers de manifestants hurlent leur ras le bol et crient leur soif de liberté face à des parachutistes (bérets rouges) armés et déterminés à tuer. Une jeune fille d’une quinzaine d’années aidée par les manifestants se hisse sur la statue du duc d’Orléans. Elle s’accroche à la tête de la statue, et de sa main libre elle tire ce merveilleux drapeau algérien caché dans son corsage et le laisse flotter sur ces cœurs pleins d’amour pour leur pays. Fiers d’être Algériens, tous lancent des "Vive l’Algérie libre et indépendante". La joie est brisée par les fusils mitrailleurs. La jeune fille est la première à tomber, criblée de balles.
Le 12 décembre Bouarioua Chérif, 18 ans, La Glacière. Il veut accrocher un drapeau vert et blanc sur un poteau électrique. Le parachutiste lui tire dessus. Une rafale mortelle qui l’abat. Il tombe du haut de son poteau, baignant de son sang le sol.
Beaucoup d’enfants et d’adolescents ont été tués par les parachutistes ou les pieds noirs qui ont montré lors de ces manifestations leur haine de ceux qu’ils voulaient "civiliser" depuis plus d’un siècle !
Durant trois jours les manifestations ont fait trembler ces colonisateurs qui avaient cru que le peuple algérien était français. Le peuple a dit non et il a payé très cher son refus d’être colonisé. On dénombra officiellement 112 morts. Beaucoup d’enfants furent arrêtés et parqués avec des adultes dans des stades. Certains moururent de froid.
Si les Français savaient combien douloureuse est la mémoire lorsqu’elle fouille dans ses entrailles d’ancienne colonisée.
Si les Français savaient combien fut cruelle et inhumaine et destructrice la colonisation française en Algérie.
Si les Français savaient que la mentalité coloniale persiste et se fait voter une loi à l’Assemblée décrivant la colonisation comme un bienfait de la civilisation européenne sur toutes les civilisations non européennes.
Si les Français comprenaient que l’occupant d’un pays libre est toujours un ennemi comme le furent les nazis
ils demanderaient alors des comptes à ceux qui, au regard de la loi internationale sont des criminels de guerre.
Qui osera raconter dans les manuels scolaires l’histoire de Farid et Saliha et les autres ?
Abida.Z.
Saliha Ouatiki, première martyre des événements du 11 Décembre 1960, est née le 5 octobre 1940 à Belcourt, elle avait à peine 12 ans quand elle a été assassinée par les services de sécurité coloniaux durant le soulèvement des Algériens. À cette occasion, le frère de la martyre, Hamid Ouatiki, nous apporte un témoignage sur l’engagement de sa sœur.
Midi Libre : Comment l’événement du
11 Décembre a-t-il eu lieu ?
Hamid Ouatiki : Les Français étaient en grève pour la cause « Algérie française », ils parcourraient Alger-Centre en scandant « Algérie française », portant des banderoles.
Au cours de cette manifestation, une rixe, dont la cause me demeure inconnue» a éclaté entre un Algérien et un Pied noir . Quand le Pied noir a vu que la situation le dépassait, il a sorti un revolver dans le but de nous faire peur et dans l’espoir de rejoindre les services de sécurité coloniaux. Mais le Pied noir a échoué à fuir le courroux des Algériens. Heureusement pour lui que les services de sécurité sont intervenus au dernier moment, pour lui porter secours, sinon il serait mort. Quand notre ami allait faire l’objet d’une arrestation, un habitant du quartier (algérien) est intervenu en essayant de dissuader les services de sécurité français de s’en prendre à lui. Après cet incident, la rue grondait et les habitants de Belcourt bouillonnaient de rage. Tout le monde est sorti, jeunes, vieux, enfants… scandant en chœur « Algérie algérienne ».
Le soir même, les militants du FLN, qui dirigeaient la guerilla urbaine ont saisi cette occasion pour revendiquer
« l’Algérie algérienne », estimant qu’il était temps d’organiser une manifestation officielle. Du coup, une manifestation a été organisée pour le lendemain
Le soir du 10 décembre, les militants du FLN commencèrent à frapper aux portes ds habitants de Belcourt afin de demander aux femmes et aux jeunes filles de coudre le maximum de banderoles et de drapeaux d’Algérie.
Le 11 décembre au matin, je suis sorti attendre les manifestations. Quand soudain, j’entendis un bruit d’enfer provenant du côté du cimetière de Sidi M’hamed, à Belcourt.
Comment Saliha Ouatiki s’est-elle retrouvée dans cette manifestation ?
Saliha est sortis vers les coups de 9 h du matin pour se rendre vers « la rue de l’Union et le cinéma « Roxy », à Belcourt, des quartiers habités par les Français. Au moment où j’arrive sur les lieux, je la vois sur le dos d’un homme et portant le drapeau algérien qui était « le symbole de la liberté ». Elle chantait des chants patriotiques à pleine voix. Soudain, le mitraillage de l’armée colonial commença et ma sœur a été la première cible. Autrement dit, celui qui a mitraillé ma sœur a visé le symbole de la liberté.
Saliha a été enterrée au cimetière de Sidi M’Hamed, à Belcourt. Ses funérailles ont drainé une grande foule. Des centaines de personne rejoignaient la foule quand ils apprirent que le cercueil portait la dépouille de Saliha Ouatiki.
Quelle a été votre réaction en voyant votre sœur tuée sous vos yeux ?
J’ai été bien évidemment choqué...
Et celle de vos parents ?
Justement, j’allais évoquer ce point. Cela m’a été très pénible de leur annoncer la mort de Saliha, mais ils l’avaient déjà appris par les enfants du quartier. Dès que ma mère a appris la tragique nouvelle, elle se mit à pousser des youyous frénétiques exprimant la douleur et la joie tout à la fois face à la mort glorieuse de son enfant. De son côté, mon père quant à lui, est demeuré serein.
Comment les organisateurs du FLN ont-ils réagi en apprenant la mort de Saliha ?
Après avoir appris la triste nouvelle, les militants et les moudjahidine du FLN sont venus apporter leur soutien et réconfort à mes parents.
Quel a été le rôle de la femme algérienne dans ces événements ?
La femme algérienne avait un rôle majeur dans la guerre de Libération nationale d’une façon générale, mais spécialement pour le 11 Décembre. Les femmes de Belcourt, en particulier, ont fait des pieds et des mains dans ces manifestations. Une partie d’entre elles cousaient des drapeaux de l’Algérie et des banderoles alors que l’autre partie était chargée de préparer à manger pour les manifestants, et elles s’occupaient également des Algériens blessé pendant les manifestations.
Comment vivez-vous le 11 Décembre de chaque année ?
Quand le 11 Décembre arrive, je plonge dans de profonds souvenirs qui me font revivre cette journée excpetionnelle et indescriptible. Parfois, je trouve que cet événement est très « étrange » relativement à son déclenchement dû à une banale bagarre entre un Algérien et un Pied noir. Avant la rixe, tout le monde s’ennuyait, quand soudain, tout explosa. Je me remémore cette journée, depuis 1960, avec fierté, admiration et nostalgie. Lotfi Sid
Oui, la Grande Famille Algérienne se retrouve divisée depuis l'indépendance, mais un vent nouveau souffle avec le rassembleur du peuple, l'homme qui ne cesse d'appeler les adversaires de l'unité et de l'union pour faire face aux chaos qui menace le pays, l'homme juste, Monsieur Ali Benflis.
L'Avenir de l'Algérie Musulmane doit être entre les mains des Femmes et des Hommes Musulmans de conviction !
N'oublions jamais le passé !
Pensons à notre avenir !
A nous de choisir. A nous d’agir.